OLLIVIER Aristide

Aristide Jules OLLIVIER. Né à Marseille le 11 juin 1826. Mort en duel le 21 juin 1851 à Montpellier à l’âge de 25 ans. Inhumé au cimetière Saint-Lazare, secteur X n°1 du 1° rang.

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Aristide Ollivier : Des paroles et des actes, ou mourir pour des idées …

Marseillais de naissance, ce journaliste parisien appartient à une illustre famille de fervents républicains. Dans la famille Ollivier, la mère, Marie Geneviève Claire Périé née en 1801 en Italie, laisse 6 enfants orphelins : Emile, Aristide, Ernest, Adolphe, Elysée et Joséphine, alors que l’aîné n’est âgé que de huit ans à peine.

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Démosthène Ollivier

Le père, Démosthène (1799-1884), né au Bausset dans le Var, républicain inconditionnel, député des Bouches du Rhône « ferme et vaillant », franc-maçon, adversaire déclaré de la politique du prince Louis-Napoléon Bonaparte, militant pour la liberté de l’Italie alors sous le joug autrichien, est en relations incessantes avec les républicains et les conspirateurs italiens. Ami de Giuseppe Mazzini (1805 -1872) révolutionnaire, fervent républicain et patriote italien, il le cache chez lui à Marseille, alors qu’un frère de Démosthène, l’oncle Aristide, installé comme négociant à Livourne, transmet les messages, reçoit et cache les émigrés.

 

Veuf et très accaparé par la politique mais aussi par les déboires de son entreprise, Démosthène délaisse ses lourdes charges de père de famille et c’est son fils aîné, Émile, qui devint un second père pour ses frères et sœur qui  connaissent une enfance difficile en Provence puis à Paris.

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Emile Ollivier

Emile (1825 – 1913) avocat de formation, fera plus tard parler de lui puisqu’il deviendra chef de l’opposition républicaine, puis… se ralliera à l’Empire le 2 janvier 1870, devenant chef du gouvernement.

Sa devise Certa viriler sustine patienter (Combat virilement, endure l’adversité), fut une triste et douloureuse réalité pour son cadet d’un an à peine, Aristide.

Aristide est grand, élancé, avec « un mâle et doux visage » où brillent de grands yeux bleus. C’est un  ardent républicain, « d’un tour de pensée très élevé », mais abrupt et nerveux,  bouillonnant de passion et de verve. Il était né opposant, en guerre spirituelle acharnée contre les opposants de « sa république » depuis que la révolution de février 1848 l’avait surpris au milieu des plus sérieuses études par lesquelles il se préparait à polytechnique. Emporté dans un tourbillon démocratique qui exacerbait l’idéal qu’il proclamait haut et fort, il suit à Marseille son frère Emile qui vient d’y être nommé commissaire. Le citoyen Agenon, rédacteur-gérant du Progrès Social  de Marseille qui apprécie chez le jeune homme ses grandes qualités et « ses nobles défauts », guide ses premiers pas dans le journalisme.

De retour à Paris, Aristide fait des débuts prometteurs dans la presse parisienne, en prenant une part active au mouvement politique républicain. Il aiguise ses armes et, en 1850, fait un séjour en préventive, dans la toute nouvelle prison Mazas, sous la fausse inculpation « d’association illicite ».

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La nouvelle prison de la Force (devenue prison Mazas), transférée de la rue des Ballets-Saint-Antoine au boulevard Mazas (boulevard Diderot de nos jours), Paris, XIIème arr. [Source : gravure, 1850, d’Edouard Renard (1802-1857)].

Pendant 2 mois il est placé dans une minuscule cellule au mobilier sommaire, composé d’un hamac suspendu à des crampons, une table, un tabouret en bois, d’un bidon à eau et de deux gamelles en fer battu. Peu importe, rien ne l’arrête, surtout pas ce confort sommaire et aussitôt sorti, il poursuit ses activités journalistiques et républicaines en publiant des articles sur les prisons dans le journal éphémère La Voix du peuple fondé par le journaliste, économiste et philosophe anarchiste Pierre Proudhon (1809-1865).

En 1851, à 24 ans, il a attiré sur lui les regards des « rouges », les Démocrates montpelliérains qui le sollicitent pour devenir rédacteur en chef de la feuille républicaine de leur nouveau journal, le Suffrage Universel.

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Le Suffrage Universel, édition du 1er mai 1851. Les locaux du journal sont situés 12 rue Grand Galion ; le journal est imprimé par Boehm, place de la Croix-de-Fer.

Ébloui de liberté, le jeune homme débarque dans la capitale Languedocienne le 25 mars et aménage rue des Tondeurs (actuelle rue Montgolfier). Aussitôt, les projets éditoriaux fusent, les articles mordent et égratignent les royalistes, attaquent avec fougue la garnison de Montpellier, le clergé… tout y passe.

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Montpellier est une Ville colorée où toutes les idées religieuses et politiques sont représentées et les royalistes, les conservateurs de tout poil ont aussi leur journal, l’Echo du Midi, dirigé depuis janvier 1850 par un journaliste plein d’esprit et de talent, Charles Louis Escande dont la plume est souvent piquante et surnommé en raison de son physique « le petit bossu ». Aristide dont la plume est tout aussi acérée, le qualifie de «Sancho Panza royaliste…que jamais nous ne prendrons pour un don Quichotte… » Entre les deux hommes, le ton monte rapidement par journal interposé, amenant une succession d’articles virulents, mordants et enflammés car, on l’aura compris, à travers les écrits des deux journalistes ce sont les deux partis opposés qui s’affrontent. En six semaines, le Suffrage Universel est l’objet d’une dizaine de poursuites pour délit de presse, motivées par autant d’articles d’Aristide qui bat tous les records : il collectionne déjà quatre procès en Assise pour injures.

Dans un éditorial, Escande veut lui donner une leçon de modération, Ollivier prend la mouche et sa plume pour répondre : « Le parti légitimiste de Montpellier est composé de lâches si aucun de ses membres ne retire les insultes de son Triboulet ou n’en prend pas la responsabilité.» Escande réplique  « le beau mérite d’être droit quand on en fait pareil usage ! » Il faut bien reconnaître que les insultes de l’époque avaient autrement plus la classe que celles de nos jours ! Aussi, avec la fougue de ses convictions et celle de la jeunesse, ce qu’on appellerait de nos jours par un excès de susceptibilité, Aristide ne peut laisser passer de tels propos et décide de se battre en duel, alors même qu’il fête ses 25 ans le 11 juin.

Se battre, certes, mais pas contre un infirme. « Si je le tue » disait Aristide, « on m’accusera d’un assassinat, je serai odieux, si je suis tué, je serai ridicule. » Entre Escande et Ollivier l’épée était impossible ne restait il pas le pistolet qui égalisait les chances ?  Aristide prend conseil de ses amis. Le lendemain il écrit dans son journal qu’il avait affaire à un adversaire dont il ne voulait pas, qu’il ne pouvait accepter, mais que celui-ci n’avait qu’à trouver quelqu’un se portant fort pour lui et qu’il acceptait d’avance une rencontre avec ce mandataire du journaliste infirme… Aristide demande les noms « d’hommes honorables », Escande refuse de les donner et écrit dans son journal cette note volontairement injurieuse « Ce journaliste provençal n’est qu’un goujat !« .

Le 19 juin, L Écho du Midi répond en publiant une liste signée de 15 aristocrates de la ville, protecteurs politiques du journal. Puisque ces « royalistes » n’ont pas le courage de désigner un adversaire, Aristide décide de le désigner lui-même parmi les 15 signataires de la lettre. Il n’en connaissait aucun personnellement ; venu depuis moins de trois mois à Montpellier, il ne savait rien d’eux, n’avait jamais eu affaire à aucun d’eux. Il aurait pu choisir sur leur liste le premier inscrit, Victor Anduze, ou le dernier, Gabriel de Paul, ou celui qui pouvait paraître le plus important dans le parti légitimiste, Léon de Rodez-Bénavent… »Parce qu’il était le plus jeune », il choisit Fernand de Ginestous, un militaire de 28 ans, issu de l’Ecole de cavalerie de Saumur, dont la jeune épouse vient de lui donner une fille quelques semaines auparavant.

Le soir de ce 19 juin, les témoins désignés par Aristide, Fernand Rouch, avocat et Gustave Raymond, banquier, viennent au cercle de la Grande Loge remettre, de la part d’Aristide Ollivier, « un billet » à Fernand de Ginestous. On ne sait pas qu’elle fut sa réaction, mais le fait est que ce dernier accepta le défi puisqu’il « choisit pour témoins Léon de Rodez-Bénavent et Gabriel de Paul, tous deux anciens officiers de cavalerie. Ceux-ci lui observèrent qu’il n’était pas personnellement provoqué, qu’il avait été choisi sur une liste, qu’il avait donc le droit de demander à désigner son adversaire sur une liste analogue établie par les républicains. Il refusa de donner à la rencontre ce caractère odieux de bataille politique, disant qu’il ne se considérait nullement comme le champion d’Escande ou des légitismistes, mais comme personnellement offensé par le cartel d’Aristide Ollivier. Cette qualité d’offensé lui donnait le choix des armes : il demandait qu’on se battît au sabre. » (journal l’Echo du Midi)

Les quatre témoins se retrouvent d’abord sur l’Esplanade, pour tenter de trouver une solution alternative et poursuivent leur discussion le lendemain matin dans une allée ombragée du Jardin des Plantes. Ils ont cru trouver une solution à cette sale affaire et la terminer par un procès-verbal qu’ils signeraient tous les quatre et que publieraient les deux journaux, dans l’édition du vendredi soir pour l’Echo du Midi et dans celle du samedi matin dans le Suffrage Universel. Le document est prêt, ils l’ont déjà rédigé comme suit :

« M. Aristide Ollivier ayant fait demander par témoins à l’un des signataires de la lettre insérée dans le no 115 de l’Echo du Midi si l’intention de ces derniers était d’accepter la solidarité de la polémique personnelle élevée entre M. Escande et M. Ollivier, il lui a été répondu que les signataires de ladite lettre n’avaient nullement entendu accepter cette solidarité, ou se substituer à M. Escande. M. Aristide Ollivier déclare à son tour retirer le mot de lâches dont il s’est servi dans le n° 130 du Suffrage Universel du mardi 17 juin, parce que dès lors il ne saurait être appliqué à ces Messieurs. » « Montpellier, le 20 juin 1851. Gabriel de Paul. Gustave Raymond. L. de Rodez-Bénavent. Ferdinand Rouch. » Le document est remis trop tard à l’Echo pour être inséré le vendredi soir.

Mais ce procès-verbal, dont l’intention était louable, ne termine rien, car il n’engageait que ses signataires et la polémique violente reprend aussitôt. On ne s’entendait toujours pas, l’histoire se précipite. Alors, on débat longuement sur le choix des armes. Les témoins d’Aristide se refusent à accepter le sabre, seule arme que proposent Rodez et de Paul. Sur l’injonction d’Aristide, ils cèdent enfin, ce sera le sabre… Soit.

Raymond et Rouch consentent mais à condition que ce soit le sabre d’officier d’infanterie, puisque les témoins de Ginestous ont donné leur parole d’honneur que ce dernier n’avait appris « le maniement du sabre de cavalerie que pour son service et qu’il n’avait jamais appris à se servir du sabre d’infanterie » et leur choix se porte sur le modèle nouveau, qui est droit comme une épée.

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Modèle d’un sabre d’Adjudant d’infanterie de 1851

On se démène, on court dans tout Montpellier, on en cherche vainement chez le maître d’armes Jean-Louis, finalement, on va en emprunter à la caserne du 35ème et rendez-vous est pris pour le lendemain samedi 21 juin, à une heure de l’après-midi, à la porte du parc de Lavalette, « magnifique domaine des environs de Montpellier ».

Ce samedi de juin baigne de soleil les rues du Clapas, il fait très chaud. Au 12 rue du Grand Galion, Aristide quitte son bureau au Suffrage et rejoint ses témoins qui l’attendent en silence dans la pièce voisine. Les 3 hommes sortent des locaux  et se dirigent vers le fiacre « commandé pour midi sous le pont du Peyrou ». Ils y montent sans un mot et le fiacre noir les conduit à travers les rues de la ville, vers Lavalette. C’est finalement une belle journée pour mourir…

Comme convenu, à une heure de l’après-midi, le fiacre s’arrête devant la porte du parc où stationne déjà celui de Ginestous. Les 3 hommes en descendent et se dirigent vers l’orée du parc où les attendent Fernand de Ginestous et ses témoins.

Dans une allée ombragée, les six hommes se saluent. « Lequel de vous, messieurs », demande Ginestous, « est Aristide Ollivier ? ». « C’est moi monsieur ! ». Au salut d’Ollivier, Ginestous répond par une politesse « Je regrette de faire votre connaissance en un pareil moment », Aristide s’incline (selon Jules Claretie, dans son Histoire de la révolution de 1870-71)… Deux jeunes gens, qui ne se connaissaient pas la minute précédente, qui se saluent pour la première fois. Les témoins signent une déclaration sur l’honneur que ni Ginestous ni Ollivier ne connaissent l’escrime du sabre d’infanterie.

Comme tout cela paraît ridicule et dérisoire de nos jours !

Le docteur Hatot-Rosière, appelé par les amis d’Ollivier arrive à son tour et invité à se tenir non loin à distance pendant le duel. Les témoins choisissent les places, puis les combattants retirent leur veste et leur chemise qu’ils confient aux témoins ainsi que leur chapeau haut de forme. Tous deux, torse nu, sont placés face à face, le sabre en main. Au signal donné, ils s’élancent avec impétuosité l’un vers l’autre.

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Duel au bois de Boulogne en 1874

Le premier coup est terrible. Ollivier qui touchait pour la première fois de sa vie un sabre se jette sur son adversaire, d’un élan brusque, se fendant à fond. Moins d’une minute plus tard, le duel est terminé : Ginestous tombe le premier, traversé de part en part ; Ollivier, dans son élan, s’est jeté sur le sabre de Ginestous qui le transperce, atteignant le cœur et ressortant près de l’omoplate ; il chancelle un moment, puis s’affaisse en silence, mort, foudroyé.

Le docteur Félix Hatot-Rosière (1) accourt vers lui, il n’y a plus rien à faire, il ne peut que constater la mort de son malheureux ami. A la demande de de Paul, il s’empresse aussitôt auprès de Ginestous qui râle déjà, allongé dans une mare de sang, mais respire encore. Il lui fait un pansement sommaire et comprime « une hémorragie considérable par application d’eau ». (Gravement blessé, il survivra miraculeusement à son effroyable blessure et décédera en 1885, âgé de 63 ans).

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La mort de Ferdinand Lassalle, dénoncée par Gösta von Uexküll

Pendant ce temps, Rodez de Bénavent a prié un des cochers de courir au séminaire pour ramener un prêtre, et part avec l’autre à la recherche du docteur Batigne. Bientôt arrivent le prêtre qui administre les derniers sacrements au blessé et le docteur Batigne qui assiste le docteur Rosière. Puis, arrive le Parquet qu’on a prévenu, avec les professeurs Isidore Dumas et Augustin René qui procèdent aux constatations légales ; puis la foule des montpelliérains par centaines, haletante et émue s’est dirigée vers le lieu du combat, car le bruit du duel s’est répandu comme une traînée de poudre .

Je me souviens, écrit le journaliste montpelliérain Auguste Cabrol (1834-1893) qui a conté ce drame, « je me souviens d’avoir vu des vieillards pleurer devant ce jeune homme, cet enfant mort en souriant. Il était nu jusqu’à la ceinture et j’ai vu de vieux républicains appuyer leurs lèvres sur les lèvres sanglantes de cette blessure par où venait de s’enfuir une âme d’élite par où venait de se terminer si tôt une vie qui sans doute eût été pure et honorée. »

Puis, un escadron du 13ème Chasseurs de cavalerie envoyé pour contenir cette foule « par une mesure de précaution qu’explique trop l’incandescence des passions politiques dans ces contrées » prend position autour du corps d’Ollivier.

Le docteur Batigne juge que Ginestous est trop mal en point pour être conduit à l’hôpital, encore moins pour être reconduit chez lui : on le porte, avec d’infinies précautions, au château de Lavalette, pendant que les témoins des duellistes se constituent prisonniers.

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Estampe représentant le château de Lavalette (éditée par Boehm, à Montpellier)

Ce n’est que vers 7 heures du soir qu’un corbillard, escorté des cavaliers et suivi de la foule en larmes, ramène le cercueil renfermant le corps sans vie d’Aristide à son domicile, le modeste logement qu’il avait loué dans la rue des Tondeurs.

Sur le bureau, bien en évidence, on trouve la lettre d’adieux, soigneusement pliée, adressée à son père,  rédigée le matin même, pendant que les préparatifs s’achevaient :

« Mon cher père, je pars me battre en duel avec M. Fernand de Ginestous. J’y vais, parce que j’ai été gravement insulté, et que je ne veux pas laisser souiller le nom que tu nous as donné. Ma dernière pensée sera pour toi et pour mes frères, pour ma pauvre sœur. Si je vais rejoindre ma bonne mère dans un monde différent, nous parlerons souvent de vous avec elle ; et si nous pouvons vous venir en aide par nos bénédictions, elles iront vers vous ardentes et passionnées… Je vous demande pardon des peines que j’aurais pu vous occasionner, et de celle surtout que je vais te procurer, à mes frères et à ma sœur aussi.

« La meilleure de mes caresses à vous tous.

Aristide Ollivier.» « Samedi 21 juin 1851″

Cette lettre, pleine des plus sombres pressentiments a été publiée dans le Suffrage Universel du Ier juillet.

La ville entière était plongée dans la stupeur et la désolation, la procession générale de la Fête-Dieu du dimanche matin, que son itinéraire avait amenée tout près de la rue des Tondeurs, se déroule sans incident. Tout le dimanche et jusqu’à midi le lundi 23 juin, il y eut un interminable défilé au domicile d’Aristide où le corps était exposé dans son cercueil. Selon les témoignages, son visage était resté serein, presque souriant. Des familles entières, des pères de famille montraient avec une « orgueilleuse tristesse » à leurs enfants le corps du jeune homme et venaient verser des larmes sur la dépouille du duelliste.

Le sculpteur Auguste Baussan se rendit lui aussi rue des Tondeurs pour prendre l’empreinte du masque d’Aristide Ollivier, afin d’exécuter un médaillon commémoratif.

C’est Jean Louis Chassefière, le gérant du journal le Suffrage Universel qui déclare le décès, le lundi matin à la première heure et les obsèques sont convenues pour le lendemain, mardi 24 juin en fin de journée.

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Dès le lundi matin, sitôt la déclaration de décès établie, au cimetière Saint-Lazare, les ouvriers rivalisent de zèle pour construire et achever le caveau d’Ollivier, juste en bordure d’allée devant la chapelle ; Ils furent chaleureusement remerciés par tous les démocrates, car non contents de  refuser tout salaire, ils avaient tenu à être les premiers sur la liste des souscripteurs ouverte pour élever un monument à la mémoire d’Aristide.

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Stanislas Digeon (1797-1860), avocat, franc-maçon anticlérical, au nom de la Commission, se chargeait de réunir les fonds pour le monument funéraire de son ami.

Le lundi après-midi, le double cercueil de plomb et de bois de chêne était hermétiquement clos, les visites étaient terminées.

Les obsèques furent simples et émouvantes. Le clergé avait fait la levée du corps au domicile ; douze draps d’honneur précédaient le corbillard, qu’une foule considérable de 7000 à 8000 personnes suivit « dans le silence le plus respectueux » jusqu’au cimetière Saint-Lazare. La force armée ne s’était montrée nulle part, quelques détachements avaient été seulement envoyés au cimetière dont les abords avaient été sécurisés.

« Bien que les autorités municipales et militaires ne nous aient pas habitués à les trouver tolérantes, nous sommes heureux de dire qu’elles n’ont apportée aucun empêchement aux obsèques de notre ami Aristide Ollivier », écrira Stanislas Digeon  dans le Suffrage Universel, qui parut le lendemain encadré de noir.

Il n’y eut pas de discours : le préfet n’en ayant voulu permettre qu’un, Stanislas Digeon qui avait été désigné, refusa de prendre la parole. L’ordre ne fut pas troublé pour autant et la foule nombreuse resta recueillie dans une ambiance tendue et douloureuse.

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Le convoi du général Foy, le 30 novembre 1825 donne une idée de ce que put être celui d’Aristide Ollivier [Source : Lithographie de Cheyère ; Bibliothèque Nationale, cabinet des estampes, série Qb1]

Fernand de Ginestous, arraché à la mort par la prompte et heureuse intervention du docteur Rosière, ne put être transporté qu’au milieu de juillet de Lavalette au château de Boutonnet, puis à son domicile à la fin de juillet. Il n’en sortit que le 12 août, pour comparaître, avec les quatre témoins du duel, devant la Cour d’Assises. Les cinq accusés furent acquittés par le jury. L’émouvante et grave sérénité de l’audience ne fut qu’un moment troublée, lorsque Stanislas Digeon, défenseur des témoins d’Aristide Ollivier, essaya de faire dériver le débat vers la politique.

Car on ne laissait pas dormir en paix la malheureuse victime, la mort du publiciste n’avait pas désarmé le parquet, sa mort tragique n’avait point apaisé les discordes.

La première maladresse fut le fait de l’autorité judiciaire qui, dès le mardi 24 juin, le jour-même des obsèques, frappe le Suffrage Universel d’une nouvelle saisie, « sous la prévention d’outrages envers la religion et ses ministres ». Alors les amis d’Aristide entreprennent de récupérer sa mort atroce et d’utiliser les circonstances douloureuses de sa fin dans l’intérêt de leur propagande politique : ils en font un martyr de la République et du Socialisme.

La souscription pour son monument funèbre, d’abord ouverte à Montpellier et aux environs est étendue à tous les départements, jusqu’à Paris et à l’Assemblée Législative.

On obtient, et on publie dans le Suffrage Universel une lettre de Démosthène et un article d’Emile Ollivier, où l’expression de la plus sincère et de la plus respectable douleur est regrettablement mêlée de prédication socialiste… et les légitimistes, le 25 août, à l’ouverture de la session du Conseil général, élisent comme président Fernand de Ginestous…

Le sage Félix Danjou regrette « cette manifestation imprudente et déplacée ». « D’un côté, dit-il, on a transformé en martyr ce malheureux jeune homme, victime volontaire des passions politiques ; de l’autre, on place le nom de M. de Ginestous sur un piédestal. Manifestations dont la convenance religieuse et dont l’esprit de conciliation conseillaient de s’abstenir. »

Eugène Guiter  (1822-1872, arrêté puis proscrit en décembre 1851, futur préfet de Savoie en 1870) qui était venu prendre la place de son ami Ollivier au Suffrage Universel, tout en s’abstenant des polémiques personnelles, continuait ses attaques violentes contre les légitimistes et contre le Pouvoir, attirant chaque jour au journal de nouveaux procès. On le voyait sombrer, enfin, faute d’imprimeur qui voulait courir avec lui tant de risques, le Suffrage Universel est dissout le 25 août 1851.

Très affecté par la disparition d’Aristide, Émile Ollivier vient à Montpellier défendre la mémoire de son jeune frère dès novembre 1851. Il plaide avec succès, quand une lettre l’oblige à rentrer d’urgence à Paris : Démosthène, le père, est cité à comparaître devant la Cour d’Assises pour avoir appelé au renversement du gouvernement dans une réunion électorale.

Arrivé à Paris le 2 décembre Emile apprend le coup d’Etat du prince-président. « Sa présence miraculeuse à Paris le sauva car s’il était resté à Montpellier, il aurait sans aucun doute été arrêté » comme le fut  Stanislas Digeon déporté au camp de Birkadem en Algérie et tant d’autres. Démosthène, fut conduit à la Conciergerie et c’est le prince Napoléon (cousin de Napoléon III), qui ayant siégé à ses côtés à la Chambre, intercède en sa faveur, lui évitant ainsi la déportation à Cayenne.

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Emile Girardin

A Paris, au lendemain de la mort d’Aristide Ollivier, Emile Girardin (1802-1881), journaliste et homme politique qui avait fréquenté Aristide durant sa période parisienne, écrivait dans La Presse, journal dont il était le fondateur : « C’était un noble démocrate, Cœur vaillant, esprit généreux, imagination ardente, raison froide, convictions profondes, opinions probes, foi démocratique à toute épreuve. … Il n’avait pas le droit de se battre : L’armée de la liberté par la liberté dont il était l’un des plus brillants officiers a besoin de tous ses soldats. »

« De tels souvenirs auraient dû arrêter Emile Ollivier au seuil des Tuileries » (Jules Claretie) Comment expliquer qu’Emile, le frère aîné (1825 – 1913), « déserta franchement la voie républicaine pour se rallier au courant de l’Empire le 2 janvier 1870, devenant chef du gouvernement ? » Il déclarera la guerre à la Prusse le 17 juillet, mais renversé après la défaite et s’exilera en Italie, son pays de cœur. Il repose, selon ses volontés, à Saint-Tropez dans un tombeau-rocher sur la plage des Salins.

Ce n’est qu’en 1903, que tuer un adversaire au cours d’une rencontre fut passible de la peine de mort et plusieurs duellistes furent, à ce titre, pendus. Le dernier duel à l’épée de l’histoire de France s’est déroulé en …1967 !  le 2 mai exactement, entre Gaston Defferre, le célèbre maire de Marseille et le député gaulliste René Ribière, après que Gaston lui ait lancé : « Taisez-vous, abruti! »; personne ne fut tué cependant, puisque le ridicule ne tue pas, paraît-il.

En 1926, le conseil municipal décide de rendre hommage à Aristide Ollivier, en donnant son nom à une rue de la ville.

La tombe d’Aristide était trop petite pour accueillir le monument qui devait y être élevé. Un nouveau terrain à perpétuité au secteur X, agrandi de 3 emplacements, lui est affecté le 6 septembre 1859 dans lequel Aristide est transféré peu après. C’est sur cet emplacement que l’on peut voir sa statue de bronze réalisée en 1853 grâce à la souscription, qui finalement fut confiée à Auguste Préault (1809-1879), sculpteur parisien alors à la mode et fondue l’année suivante par la fonderie d’art Eck et Durand, ainsi que le bas relief commémoratif du sculpteur Auguste Baussan (1829-1907) représentant une femme en pleurs

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Bas-relief commémoratif du sculpteur Auguste Baussan, sur la façade principale

L’oeuvre de Préault met en valeur la jeunesse d’Ollivier, cheveux longs rejetés en arrière,  favoris tombant sur les tempes, barbe et moustache soigneusement taillées, et d’une sobre  élégance. On peut encore le voir, vêtu à la mode de son temps, cravate ample nouée en position basse en nœud compliqué, redingote ajustée et très cintrée, pantalon droit moulant à sous-pieds couvrant les souliers et tenant dans sa main gauche un parchemin symbolisant son activité.

Hasard de l’histoire, la tombe Ollivier surplombe celle de la famille de Ginestous, bâtie en bordure de l’allée située en contrebas.

Plaque d'Elysée OLIVIER décédé en 1918 (Tombe d'Aristide OLLIVIER) (Sect. X)

Plaque souvenir dédiée au neveu d’Aristide, Elisée Ollivier, avec 2 erreurs dans son identité !

Aux côtés d’Aristide, ses autres frères Elysée et Adolphe, devenus négociants, furent inhumés respectivement en 1885 et 1898. Ensuite, son neveu, le capitaine de corvette Elisée Louis Alexandre, chevalier de la Légion d’honneur mort pour la France le  5 novembre 1918.

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[Photo MP]

Jugeant qu’il n’y a pas péril en la demeure
Allons vers l’autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l’allure, il arrive qu’on meure
Pour des idées n’ayant plus cours le lendemain

Georges Brassens – Mourir pour des idées (1972)

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[Photos MP]

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Note 1 : Le docteur Marie Félix Napoléon Hatot-Rosière (1802-1868) a joué à Montpellier un rôle important comme médecin des classes défavorisées. Ami du journaliste républicain, il a assisté à son décès mais soigna et sauva Ginestous. La famille de Ginestous n’oublia pas ce service et, lors de l’arrestation du Dr Rosière après le Coup d’état du 2 décembre 1851, elle fit libérer ce dernier, emprisonné comme républicain par l’autorité militaire de Montpellier.

Sources :  http://www.institut-emile-ollivier.org/biographie_eo.htm

  • Histoire anecdotique du duel dans tous les temps et dans tous les pays, par Émile Colombey, Paris, Collection Hetzel, Michel Levy éditeurs.
  • Le Journal du Midi, 20 et 21 juin 1851.
  • Monspeliensia : mémoires et documents relatifs à Montpellier et à la région montpelliéraine, publiés par la Société archéologique de Montpellier, Fondation Joseph Pouchet, 1928.
  • Histoire de la Révolution de 1870-71, par Jules Claretie, Paris, aux bureaux du journal L’Eclipse, 1872.